En quoi la RE2020 change-t-elle la donne sur le confort d’été par rapport à la RT2012 ?
Renaud Tarrazi : Soyons clairs : si la prise en compte de l’empreinte carbone introduite par la RE2020 a des répercussions notables sur la façon d’aborder certains projets architecturaux, l’attention particulière portée à la prévention de l’inconfort d’été, qui fait aussi partie des grandes « nouveautés », n’est pas celle qui nous impacte le plus. Pour une raison simple : ici, en Provence, et plus généralement dans la zone climatique H3, le confort d’été nous préoccupe davantage que le confort d’hiver. À tel point que nous avions jusqu’à présent du mal à nous reconnaître dans les réglementations thermiques successives et surtout dans les certifications type HQE, largement inspirées de l’expérience des pays du Nord. Sur-isoler les bâtiments pour moins les chauffer, c’est certainement nécessaire à Paris et dans certaines régions françaises. Sauf qu’ici, à Marseille, cette sur-isolation tend à générer un effet cocotte-minute l’été et donc un besoin supplémentaire de climatisation, ce qui paraît quand même aberrant. C’est pourquoi, dès 2008, sous l’égide d’Envirobat, nous – promoteurs, aménageurs, architectes, bureaux d’études... du sud de la France – avons créé une association baptisée « Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM) » et initié sous le même sigle une approche constructive de bon sens et un référentiel adaptés à notre zone climatique. La RE2020 a certes le mérite de traduire la prise de conscience nationale des problèmes de réchauffement climatique, mais nous avions en quelque sorte anticipé localement cette démarche en allant plus loin que la RT2012 sur le thème du confort d’été.
— Cédric Juvenelle-Taza : La problématique de l’inconfort d’été ne surgit pas brutalement avec la RE2020. Dans les bureaux d’études, cela fait pas mal d’années que les simulations thermiques dynamiques (STD) tenant compte de la situation et de l’exposition des bâtiments aident les équipes à faire les meilleurs arbitrages techniques afin d’assurer le confort tout au long de l’année. La RT2012 avait déjà mis en avant le sujet du confort d’été en définissant la TIC (température intérieure conventionnelle), un indicateur qui s’est hélas avéré trop peu représentatif du ressenti réel des occupants. Concrètement, il était tout à fait possible de concevoir en zone H3 des logements RT2012 non climatisés « performants » du point de vue du Cep (consommation conventionnelle d’énergie primaire), mais très inconfortables durant les mois les plus chauds. Avec, pour conséquence, le fait que les pompes à chaleur installées dans bon nombre d’opérations RT2012 et déclarées uniquement en mode chauffage étaient en réalité utilisées aussi pour la production de froid. Ce qui est logique d’ailleurs puisque les besoins de rafraîchissement en zone H3 sont en règle générale supérieurs aux besoins de chauffage. La RE2020 présente donc l’intérêt de tout remettre à plat, notamment grâce à l’instauration de l’indicateur DH Degrés-Heures), lire notre encadré ci-après), dans une vision réaliste à long terme qui, dans ses scenarii météorologiques, n’omet pas d’intégrer la période caniculaire d’août 2003. Ainsi, elle pousse les équipes de conception à se poser les bonnes questions dans l’hypothèse – plus que probable – où les périodes de chaleur autrefois exceptionnelles deviendraient plus fréquentes, plus fortes et plus longues, en particulier dans la zone H3.
L’indicateur DH (Degrés-Heures) représente sur une année la somme du nombre d’heures perçues comme inconfortables par les occupants, chacune de ces heures étant pondérée par l’écart en °C entre la température calculée et la limite de confort : à savoir 26 °C la nuit (seuil fixe) et 26 °C à 28 °C le jour (seuil variable de façon à tenir compte de la capacité du corps humain à mieux supporter la chaleur après une période d’adaptation). Si le DH ne dépasse pas 350 °C.h, le logement est jugé confortable l’été sans nécessité d’installer un système de refroidissement complémentaire. En revanche, au-delà de 350 °C.h, le degré d’inconfort est automatiquement transformé en besoin de rafraîchissement et donc en consommation d’énergie. Là où la RT2012 ne comptabilisait l’énergie dépensée que si une climatisation était déclarée, la RT2020 calcule automatiquement une consommation « fictive » qui correspond au besoin de refroidissement auquel les occupants auront à faire face s’ils décident effectivement de climatiser. Bien qu’hypothétique, cette consommation est systématiquement ajoutée à la consommation totale. Pour qu’un logement (climatisé ou pas) soit conforme à la réglementation, la valeur de son DH ne doit en principe pas dépasser 1 250 °C.h, quelle que soit la région. Ce plafond est toutefois modulable à la hausse en fonction de certaines contraintes, par exemple l’impossibilité d’ouvrir les fenêtres la nuit en zone de bruit.
Renaud Tarrazi
Architecte associé chez Map Architecture (Marseille, Toulon, Nice).
Quelles règles de conception, quelles solutions techniques la RE2020 conduit-elle à mettre en œuvre pour assurer le confort d’été en zone climatique H3 ?
— R. T. : Nous avons eu la satisfaction de retrouver dans la RE2020 une partie des principes fondamentaux retenus dans le cadre de l’approche BDM. Des points de vigilance déjà connus des anciens du reste, comme le choix d’une implantation logique par rapport au soleil et aux vents dominants, la limitation des surfaces vitrées au sud, l’importance donnée à l’épaisseur des murs pour y stocker la chaleur sans augmentation sensible de la température. De même que la qualité des volets et des occultations, l’effet bénéfique des brise-soleil horizontaux en façade sud (le soleil de midi rentre dans le logement l’hiver, mais pas l’été). Si elle n’impose rien et va dans la bonne direction, la RE2020 souffre tout de même d’un esprit un peu trop « ingénieur » de mon point de vue d’architecte et de citoyen. Ainsi, elle méconnaît la valeur réelle de certaines traditions méditerranéennes. Par exemple, toutes les façades sud des maisons de maître provençales sont depuis des siècles protégées par des plantations de grands arbres à feuilles caduques qui créent une ombre protectrice l’été tout en laissant passer les apports solaires bienvenus l’hiver. Or la RE2020 ne valorise pas ce dispositif comme elle le devrait. Idem pour les volets à persiennes provençaux en bois qui limitent les apports solaires en position fermée tout en laissant entrer la lumière naturelle et en facilitant la ventilation nocturne. D’après les ingénieurs, ces dispositifs traditionnels se révèlent moins performants dans les calculs RE2020 que les volets roulants classiques en PVC, alors que n’importe qui ayant eu l’occasion de comparer ces deux systèmes dans notre région sait à quel point c’est l’inverse qui est vrai en termes de confort. Le problème, c’est que lorsqu’un gain réel comme celui-ci n’est pas reconnu, cela nous oblige à le trouver ailleurs en engageant des dépenses – l’installation de rideaux roulants en façade nord par exemple – qui pourraient être mieux utilisées.
— C. J.-V. : Le grand changement en conception, c’est d’une part le remplacement de la TIC par ce fameux DH, et d’autre part la transformation automatique de ce DH (au-dessus de 350 °h) en besoin de rafraîchissement, donc en consommation (au départ fictive). Bref, on ne détourne plus le regard face au risque d’inconfort, d’autant que ce calcul est obligatoire pour le permis de construire. Donc, il faut vraiment travailler sur le sujet, comme sur les postes chauffage et ECS. Et avec de véritables marges de sécurité, faute de quoi c’est tout le projet qui pourrait se retrouver hors des clous en phase détaillée, ne serait-ce qu’à cause de la consommation sous-évaluée d’un petit ascenseur. La solution, c’est plus que jamais la conception bioclimatique, garante du confort d’hiver comme du confort d’été. Soigner l’isolation thermique, les protections solaires, bien peser les caractéristiques des vitrages pour ne pas créer un inconfort l’hiver en réduisant exagérément les transmissions lumineuses l’été... En Provence, les services écosystémiques – c’est-à-dire rendus par la nature – ont fait leurs preuves. Il suffit de voir les haies qui protègent la façade sud de la plupart des mas. Mais encore une fois, dans sa vision réaliste du réchauffement climatique, la RE2020 ne saurait s’en contenter. Ces haies représentent un véritable bonus pour les occupants si les arbres sont en bonne santé, mais rien de définitif pour le moteur de calcul, même si certains collègues architectes le regrettent.
Cédric Juvenelle-Taza
Directeur de l’agence Novacert d’Aix-en-Provence.
Chacun sait que les courants d’air, la nuit, constituent un excellent moyen d’évacuer la chaleur accumulée durant la journée. Comment tirer au mieux profit de cette « technique » gratuite et quelles sont les autres « alternatives » à la climatisation ?
— R. T. : Le courant d’air nocturne est en effet, depuis toujours, l’un des principaux moyens gratuits de lutte contre l’inconfort d’été. Pour naître, il n’exige qu’un logement traversant et une différence de température entre deux façades. Les logements ainsi conçus sont très agréables, sans parler des questions de vue et de luminosité. Nous les recommandons sans réserve ! Pour les petits appartements de type résidence étudiante, la circulation de l’air peut passer par la création de coursives autour d’un patio végétalisé par exemple. Cette solution, qui peut être associée à des circulations verticales, s’inspire des riads marocains et fonctionne très bien dans notre région. Sauf en zone de bruit évidemment, lorsque l’ouverture des fenêtres est problématique. Pour faire rentrer l’air dans les logements en limitant les nuisances acoustiques, il existe des « pièges à sons », obligatoires dans certains cas. Usuelle dans les pays chauds, l’installation de brasseurs d’air au plafond est aussi une bonne alternative à la climatisation. C’est en l’occurrence la vitesse de l’air qui diminue la sensation de chaleur.
— C. J.-V. : En zone H3, nos simulations montrent qu’une proportion de 80 % de logements traversants dans un immeuble est une bonne base de départ pour contenir le DH. Concrètement, le confort d’été d’un bâtiment est analysé pour quatre types de logements : traversants, non-traversants, traversants climatisés et non-traversants climatisés. Comme il n’est pas prévu de faire une moyenne sur le bâti et que la conformité est exigée dans chaque cas de figure, il faut que la typologie du logement traversant – la plus favorable – soit sur-représentée. D’où la proportion de 80 %. Les autres types de logements devront, quant à eux, « surperformer » au niveau des équipements, ce qui impactera les coûts. Tout est en fait une questiond’équilibre global, d’autant plus que les logements traversants sont les plus déperditifs et donc les plus consommateurs en hiver... Le brassage d’air est une bonne alternative à la climatisation. La diminution de température ressentie (mais non réelle) est d’ailleurs prise en compte par le logiciel RE2020 (scénario « ventilation forcée ») qui peut en l’occurrence défalquer de 600 à 800 heures d’inconfort pour un T2 /T3 non traversant en zone H3. Ce gain apparaît très intéressant si on le rapporte à la consommation, à la simplicité d’installation et au coût du dispositif : à partir de 350/400 euros HT par logement pour les brasseurs à pales, 800 euros HT pour les brasseurs sans pales qui aspirent, filtrent et renvoient l’air à 360° dans toute la pièce. Bien entendu, la climatisation sera inévitable dans certains cas. En zone de bruit fort, par exemple, lorsque la ventilation nocturne naturelle est impraticable, le DH ne peut qu’exploser. Logiquement, la RE2020 prévoit d’ailleurs que le plafond du DH passe en l’occurrence de 1 250 °C.h à un peu plus de 2 000 °C.h.
Quelle place accorder aux automatismes ?
— C. J-V. : Leur rôle sera déterminant, aussi bien pour la gestion énergétique que pour le confort d’été. Avec la RT2012, la domotique était un luxe ; avec la RE2020, elle devient pratiquement une nécessité. L’objectif aujourd’hui, c’est de faire en sorte que le logement, même inoccupé aux heures de travail, soit en permanence capable de s’adapter à l’évolution des conditions extérieures, à n’importe quelle heure de la journée et quelle que soit la saison. Et cela, il n’y a que les occultations automatiques et autres volets intelligents à lames orientables qui en soient capables. Par le passé, les volets à persiennes à projection pouvaient rendre ce service, mais c’était une époque où les gens étaient beaucoup plus souvent chez eux. Aujourd’hui, la RE2020 ne peut pas valoriser ces systèmes dans les calculs théoriques comme elle le fait pour les automatismes qui, eux, exécutent de véritables scénarii d’optimisation climatique.
Dans de nombreuses régions, le bois est mis à contribution pour améliorer « l’impact carbone construction ». Qu’en est-il en zone H3 et quid des teintes à privilégier en façades ?
— R. T. : Le bois est traditionnellement peu présent dans les constructions du pourtour méditerranéen, et je doute fort qu’il le devienne. Ce serait certes envisageable au niveau des structures bois, mais sa faible inertie thermique ne plaide pas en sa faveur pour le confort d’été. Quant aux façades en bois, elles s’abîment très vite au soleil. Pour ce qui est des teintes : claires évidemment, pour réfléchir la chaleur et non l’emmagasiner.
Comment la RE2020 impacte-t-elle le travail de l’équipe de maîtrise d’œuvre ?
— R. T. : La conformité d’un projet vis-à-vis de la RE2020 est jugée au moment du dépôt de permis de construire sur la base de l’avant-projet détaillé (APD), et plus sur celle de l’avant-projet sommaire (APS) comme autrefois. Le niveau de définition est donc bien plus élevé, ce qui exige des échanges plus précoces entre l’architecte et le BE. Et pour avancer, les experts qui nous aident à faire ces calculs RE2020 ont besoin de mille précisions sur les matériaux, les équipements, etc. Voilà pourquoi la maquette 3D partagée, autrement dit le BIM, est devenue une nécessité. C’est la seule solution qui permette à toute l’équipe de maîtrise d’œuvre de travailler en même temps sur le même document.
— C. J-V. : Avec la RE2020, le travail d’équipe démarre dès le premier coup de crayon. L’architecte seul n’a pas toutes les réponses, et le BE non plus. Chaque décision doit être débattue pour aboutir au meilleur concept de bâti. Nous, BE, intervenons plus en amont, en donnant une orientation sans doute plus fonctionnelle à la conception, et un peu moins ornementale.