L’hybridation, un atout pour la décarbonation de sites logistiques

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Un gestionnaire de plateformes logistiques souhaitant décarboner son parc a fait le choix de rénover l’un de ses sites les plus énergivores, au moyen d’une solution hybride couplant chaudières gaz murales et PAC. D’une superficie de 18000 m², l’installation est totalement instrumentée, avec pour ambition de démontrer la performance de cette solution.

 La solution hybridant  chaudières gaz murales  et PAC a été retenue  pour assurer les besoins  de chauffage de  cet entrepôt situé  en région bordelaise.
La solution hybridant chaudières gaz murales et PAC a été retenue pour assurer les besoins de chauffage de cet entrepôt situé en région bordelaise.

Carte d'identité

Date des travaux :
2024
Localité :
Cestas (Gironde)
Type de bâtiment :
Site logistique
Superficie :
18 000m2
Maître d'ouvrage :
Groupe Argan
Bureau d'études thermiques :
Inoveha (groupe Rexel)
Solution retenue :
Solution hybride : 5 chaudières murales de 160kW et 6 PAC de 40 kW

Faisant de la décarbonation de son parc immobilier tertiaire une priorité stratégique, le groupe Argan, gestionnaire de plusieurs dizaines de plateformes logistiques en France métropolitaine, étudie depuis les années 2010 les solutions techniques appropriées. « L’ambition du groupe Argan est de diviser par deux les émissions de CO2 sur l’ensemble des scopes, avec un effort prioritaire sur les émissions de CO2 liées à l’exploitation de nos entrepôts d’ici à 2030. Notre objectif est de réduire de 50% nos émissions, en passant de 25 000 t émises en 2022 à 12 500 t en 2030, souligne Fabien Nizard, directeur des travaux chez Argan. Nous avons déjà rénové 4 entrepôts en 2024. Nous devrions suivre ce rythme chaque année afin de rénover une vingtaine d’entrepôts d’ici à 2030, correspondant à une superficie totale de 2 millions de m². Même s’il n’existe pas encore de réglementation contraignante, nous voulons conserver une longueur d’avance. » À ce titre, la société a mis en place, dès 2018, un « Plan PAC », visant initialement à substituer le gaz par de l’électricité en tant qu’énergie primaire. L’un des premiers sites à faire l’objet de ce plan est une plateforme logistique basée à Cestas (Gironde), d’une surface de 18 000 m² (potentiellement extensible à 24 000 m²), et dont le locataire est Rexel, leader de la distribution professionnelle de produits et de services pour le monde de l’énergie. Ce site n’a pas été choisi au hasard : il est l’un des plus énergivores du parc d’Argan.

Le dimensionnement des PAC à 25% permet  d'assurer a minima 60% des besoins de chauffage.
Le dimensionnement des PAC à 25% permet d'assurer a minima 60% des besoins de chauffage.
Les six PAC air/eau monoblocs de 40 kW  chacune sont associées à 5 chaudières murales  en cascade de 160 kW chacune. La cascade  ainsi que la modulation de puissance sont  gérées par la régulation propre aux chaudières.
Les six PAC air/eau monoblocs de 40 kW chacune sont associées à 5 chaudières murales en cascade de 160 kW chacune. La cascade ainsi que la modulation de puissance sont gérées par la régulation propre aux chaudières.
La régulation gérant l’hybridation a été définie  en fonction du COP instantané des PAC.
La régulation gérant l’hybridation a été définie en fonction du COP instantané des PAC.

UNE PARADE AU SURDIMENSIONNEMENT 

Le bâtiment était équipé d’une chaudière gaz largement surdimensionnée (2,5 MW et un brûleur de 1,7 MW avec un seuil minimal de modulation ne pouvant descendre en dessous de 700 kW). Cette faible modulation engendrait de fréquents courts cycles et, in fine, des surconsommations. En première approche, Argan souhaitait recourir à une solution 100 % PAC pour décarboner ses consommations énergétiques. Bien que locataire, c’est Rexel qui oriente son bailleur vers un système hybride. « Quand nous avons pris connaissance du dossier, l’option consistant à remplacer une chaudière existante par une PAC nous est apparue comme une solution trop dogmatique d’un point de vue énergie primaire, un virage à 180 ° difficilement adaptable et non résilient pour le réseau, précise Laurent Hervoche, directeur régional génie climatique chez Rexel, rattaché à la plateforme de Cestas. J’ai donc demandé à réétudier le dossier en intégralité. » Pour ce spécialiste, conserver la possibilité de recourir au gaz en appoint tout en y associant des PAC permettait d’envisager une solution technique performante et bas carbone. « Nous n’étions pas au fait des techniques d’hybridation, reconnaît Fabien Nizard. C’est le BE de Rexel – Inoveha – qui nous a proposé cette solution lorsque nous leur avons présenté notre plan de décarbonation. »

S’appuyant sur une évaluation des déperditions thermiques de l’entrepôt et sur une simulation thermique dynamique (STD), Inoveha élabore un argumentaire qui achève de convaincre Argan du bien-fondé d’une solution hybride. Au vu de la STD, un dimensionnement des PAC à 25% permet d’assurer au moins 60% des besoins de chauffage. Les déperditions thermiques de la plateforme peuvent ainsi être couvertes avec une puissance de chauffage de 240 kW au cours de l’année, les jours de très grand froid étant peu nombreux dans la région bordelaise (à – 5 °C, ces besoins ont été évalués à 629 kW). Ensuite, le recours simultané aux chaudières et aux PAC permet à ces dernières de fonctionner à des coefficients de performance (COP) performants tout au long de l’année. « Nous avions comparé 2 modes d’hybridation, détaille Laurent Hervoche. Le scénario « et », (qui peut solliciter les 2 types de générateurs en simultané), et le scénario « ou », dans laquelle PAC et chaudières ne sont jamais mises à contribution en même temps.

Les travaux étaient quasi-équivalents, sachant qu’en hybridation « ou » on gardait la chaudière en place en lui adjoignant une PAC en cascade. Mais dans ce scénario, il aurait fallu une PAC de très grande puissance. » S’ajoute à cela le fait que le raccordement d’une PAC de forte puissance aurait nécessité de changer de contrat de souscription en électricité et d’ajouter un transformateur supplémentaire et des armoires électriques. Soit un surcoût de plusieurs centaines de milliers d’euros. Enfin, il aurait été nécessaire de doubler le nombre d’aérothermes au sein de la plateforme pour compenser la baisse du régime de température, passant de 80 °C/60 °C à 45 °C/40 °C. Et tout cela en site occupé…

18 aérothermes ont été conservés à l’intérieur de l’entrepôt
18 aérothermes ont été conservés à l’intérieur de l’entrepôt

UNE « SUPER » RÉGULATION PILOTANT PAC ET CHAUDIÈRES

Très vite, une convention de partenariat entre Argan, Rexel et GRDF prend forme. Le BE se rapproche du fabricant De Dietrich (groupe BDR Thermea) pour concevoir une installation comprenant 6 PAC air/eau monoblocs de 40 kW chacune, soit 240 kW au total, associées à 5 chaudières murales en cascade de 160 kW chacune. Elles offrent une modulation allant de 23% d’une chaudière seule à 100% de la totalité des 5 chaudières, soit une plage de puissance comprise entre 32 kW et 800 kW. La cascade ainsi que la modulation de puissance sont gérées par la régulation propre aux chaudières. Il en va de même pour les PAC. Restait à mettre au point une régulation gérant l’hybridation. Plusieurs paramétrages possibles sont prévus : hybridation en fonction du prix instantané des énergies ou en fonction du COP instantané des PAC. C’est ce dernier critère qui a été retenu pour la plateforme de Cestas. « Ici, la valeur de COP pour l’hybridation est fixée à 2,3 », précise Christophe Ferrière, chargé d’affaires prescription en rénovation tertiaire et sociale chez BDR Thermea. Dès que les COP descendent sous cette valeur, les chaudières modulantes sont mises à contribution. « Techniquement, cela a été un vrai casse-tête au départ, concède Mathilde Delarue, responsable travaux et maintenance au sein de la société E2M, chargée de l’installation et de la maintenance du site. Il a fallu coupler 6 PAC et 5 chaudières, et surtout réussir à faire dialoguer tous les générateurs avec le système de régulation. Nous n’avions pas toutes les données d’entrée au moment du lancement de l’opération. Nous avons donc dû faire les études d’automatisation et d’électricité en cours de chantier. Heureusement, BDR Thermea nous a bien accompagnés, car c’était une première pour nous. » Un ballon tampon de 1500 l est chargé d’alimenter le circuit unique de distribution, en aval duquel les 18 aérothermes ont été conservés. La température en départ de circuit est fixée à 60 °C, pour une température d’ambiance de 14 °C au sein des 3 cellules de l’entrepôt.

UN PREMIER BILAN EN 2026

À date, l’instrumentation du site est sur le point d’être finalisée, avec la mise en place de compteurs électriques et calorifiques. La saison de chauffe 2025-2026 permettra d’établir les réelles économies en carbone résultant de la solution hybride. Pour GRDF, tout l’enjeu de ce site pilote consiste à faire la démonstration que ce type de solution hybride est non seulement performant et vertueux, mais également reproductible sur le segment des grands sites logistiques : « Ce projet sera très instructif, confirme Laurent Siret, ingénieur efficacité énergétique au sein de GRDF. L’instrumentation de l’installation nous permettra d’observer précisément son fonctionnement sur une saison complète. Le vrai rendez-vous, ce sera à la fin de l’hiver prochain, avec une analyse détaillée de la période de chauffe. Cette première année 2024-2025 a permis de poser les bases, la prochaine saison de chauffe sera l’occasion d’affiner les réglages. »

Rexel a également un agenda pour la décarbonation du site. Notre objectif est de décarboner à 80%. Les PAC vont amplement y contribuer, et nous intégrons 20% de gaz verts issus de Pot au Pin Énergie, l’unité de méthanisation voisine. En matière de fonctionnement, les PAC tournent à 100% sans problème. Les utilisateurs n’ont eu à déplorer aucune rupture de service, ce qui montre bien la résilience du système, capable de garantir un confort minimal, même si un des réseaux – qu’il soit électrique ou gaz – venait à rencontrer un problème. Nous avons aussi déjà étudié la possibilité de participer à un programme d’effacement électrique du site, pour délester le réseau de distribution d’électricité en période de pointe, contre rémunération.
Laurent Hervoche

Laurent Hervoche

directeur régional génie climatique, Rexel

Au départ, ce projet était un vrai prototype. Moyennant quelques ajustements, nous avons réussi à le transformer en une installation fonctionnelle, stable et surtout viable. La solution hybride tient ses promesses. Le plus gros défi a été la régulation, chapeautant à la fois les PAC et les chaudières. Pour faire simple, c’est un peu comme faire dialoguer un Mac et un PC… Nous avons dû composer avec des systèmes qui n’étaient pas faits pour communiquer entre eux à l’origine. Mais, aujourd’hui, tout fonctionne très bien.
Stéphane Brouillou

Stéphane Brouillou

directeur maintenance CVC, E2M

Nous connaissions bien le bâtiment pour en avoir piloté les travaux de création en 2018. Nous disposions donc de toutes les données d’entrée, notamment sur la chaufferie d’origine, qui faisait 2 MW. Rexel nous a sollicités pour réfléchir à une solution de décarbonation et nous a fait confiance, notamment parce que nous avions connaissance de l’historique du site. Nous avons également pas mal échangé avec BDR Thermea sur cette opération, dans le cadre de conférences autour de l’hybridation. Ce genre d’échanges nous a permis d’approfondir nos pratiques, et nous espérons clairement pouvoir reproduire ce type d’installations sur d’autres sites.
Mathilde  Delarue

Mathilde Delarue

responsable travaux et maintenance E2M

En matière de maintenance, rien ne change vraiment par rapport à une installation classique. Les PAC utilisées ici sont assez standard, proches de modèles domestiques. Mis à part le contrôle annuel d’étan - chéité des fluides frigorigènes, on intervient tous les trimestres : nettoyage des condenseurs, vérification des tensions, contrôle des moteurs et des températures. L’idée, c’est d’anticiper pour éviter toute panne, avec un maximum de mesures préventives. On assure aussi un suivi analytique de l’eau (pH, analyses physico-chimiques…), notamment pour empêcher toute dégradation des réseaux. C’est crucial, surtout sur les circuits en aluminium, plus sensibles aux variations de taux.
Julien  Oggero

Julien Oggero

chargé d’affaires maintenance CVC, E2M

Pour ce projet, en fonction du taux de déperdition du bâtiment et des caractéristiques de la chaufferie existante, nous avons, grâce à notre logiciel propriétaire, dimensionné une solution hybride avec une puissance PAC permettant d’atteindre un taux de couverture cohérent. Il fallait aussi veiller à rester dans les limites de l’abonnement électrique, ce qui a conditionné certains choix techniques.
Christophe  Ferrière

Christophe Ferrière

chargé d’affaires prescription en rénovation tertiaire et sociale, BDR Thermea

L’installation a été réellement mise en service en décembre 2024, donc nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur les économies d’énergie et de carbone. Le vrai bilan se fera l’hiver prochain, quand nous pourrons analyser l’ensemble des données, qui seront centralisées et traitées par les services généraux, au siège de Rexel. En matière de confort, tout fonctionne bien. Le système respecte les consignes, et, même si l’hiver a été doux, nous n’avons eu aucun souci.
Thomas  Le Brun

Thomas Le Brun

exploitant, Rexel

À notre connaissance, une hybridation de ce type sur un site logistique est une première pour GRDF. Ces plateformes sont généralement de grosses consommatrices de gaz, et l’hybridation représente une excellente solution pour décarboner une grande partie des consommations avec un coût d’investissement beaucoup plus raisonnable qu’une conversion en tout électrique.
Laurent  Siret

Laurent Siret

ingénieur efficacité énergétique, GRDF

À RETENIR
- La plateforme logistique de Cestas a été identifiée en 2018 comme l’un des sites les plus énergivores du groupe Argan, maître d’ouvrage de l’opération.
- Sous l’impulsion du locataire du site, la société Rexel, une solution hybride a été étudiée au lieu de la solution 100% PAC initialement prévue par Argan.
- La solution hybride se compose de 5 chaudières murales gaz de 160 kW chacune et de 6 PAC air/eau de 40 kW chacune. Elle consiste à mettre à contribution les différents générateurs (PAC et chaudières) à leur optimum : les chaudières prennent le relais des PAC lorsque leur COP instantané passe sous la valeur de 2,3.
- Les chaudières gaz du système peuvent moduler de 20 kW à 800 kW de puissance

Ma note :