Contexte
Depuis l’instauration du Plan Climat en 2007, suivi de renouvellements en 2012 et 2018, la Ville de Paris vise un scénario à faible empreinte carbone pour réduire son impact environnemental et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La ville soutient ainsi les initiatives novatrices et ambitieuses en matière d’efficacité énergétique et de promotion des énergies renouvelables.
En 2016, un accord est conclu entre la Ville de Paris, la société d’aménagement SEMAPA et GRDF, visant à expérimenter sur la zone d’aménagement concerté (ZAC) Paul Bourget (dans le 13ème arrondissement) la mise en œuvre et le suivi d’un mix énergétique combinant gaz, énergies renouvelables et production électrique, en visant un taux d’énergies renouvelables et de récupération supérieur à 25 %.
Cette expérimentation s’applique sur les bâtiments de la zone d’aménagement avec les usages mixtes suivants : logements sociaux, bureaux, hôtellerie, services et commerces et sur 8 bâtiments (1,2,3,5,6,7,8 et 11) équipés des solutions techniques suivantes :
- Chaudières à condensation + panneaux solaires thermiques
- Chaudières à condensation + cogénération (La cogénération est un équipement permettant la production simultanée de chaleur pour le chauffage et l’ECS du bâtiment et d’électricité sur site.)
- Chaudières à condensation + pompe à chaleur absorption aérothermique (La pompe à chaleur absorption fonctionne selon le principe de récupération d’énergie gratuite présente dans l’environnement (sol, air ou eau) par l’utilisation du cycle thermodynamique sur base d’un circuit fermé d’eau et d’Ammoniac. Dans le cadre de la version en aérothermique les calories sont captées sur l’air.)
- Chaudières à condensation + pompe à chaleur absorption géothermique
- Chaudières à condensation + cogénération + Panneaux solaires photovoltaïques
Le bâtiment 9 équipé d’une installation de chaudière avec cogénération et récupération sur eaux grises de type powerpipe sera équipée d’une instrumentation suivie directement par Elogie-Siemp.
Toutes les installations de la ZAC Paul Bourget sont des systèmes performants combinant énergies renouvelables et gaz naturel. Ils reposent sur un système de base associé à une solution d’appoint. C’est un aspect commun à toutes les installations visant la performance énergétique et/ou intégrant des énergies renouvelables. Lien vers la visite virtuelle des installations
Pour optimiser le rendement de chaque système pour chaque bâtiment, une chaudière à condensation d’appoint est également mise en place. L’ensemble des modules et des chaudières assurent les besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire nécessaires.
Les échanges liés à la mise en place et au suivi de l’instrumentation technique des différents bâtiments ont inclus l’ensemble des acteurs de la zone d’aménagement :
- La Ville de Paris
- La SEMAPA – Aménageur du quartier
- GRDF
- Les maitrises d’ouvrage : Elogie-Siemp – Bailleur et Pichet, Promoteur - Le Comité Scientifique et Technique des Industries Climatiques (COSTIC) en charge de l’instrumentation pour chacun des bâtiments
L’instrumentation de la ZAC Paul Bourget
Afin de mesurer et de suivre la performance des équipements solution par solution et garantir le respect des engagements pris en termes d’objectifs de consommation et de taux EnR, la mise en place d’une instrumentation a été prévue pour chaque bâtiment.
Cette instrumentation comprend la fourniture du matériel nécessaire comportant sondes, compteurs, centrales d’acquisition, ainsi que le suivi sur 2 ans de chaque installation technique comportant le suivi des performances de chaque bâtiment
GRDF et le COSTIC ont collaboré avec les maitrises d’ouvrage pour chaque bâtiment, en assurant les tâches suivantes :
- Conception des systèmes énergétiques
- Intégration des équipements d’instrumentation dans les installations techniques
- Surveillance de l’instrumentation et assistance à la prise en charge des équipements par le service de maintenance pour garantir leur performance
L’objectif est multiple :
- Établir la performance énergétique de ces installations dans des conditions réelles
- Identifier des opportunités d’amélioration de la performance
- Élaborer un retour d’expérience basé sur le terrain
A date, voici les résultats de l’instrumentation pour 4 bâtiments : le bâtiment 1 (chaudières + panneaux solaires thermique), les bâtiments 5 et 7 (chaudières + pompes à chaleur absorption aérothermique) et le bâtiment 8 (chaudières + pompes à chaleur absorption géothermique).
Le bâtiment 6 a été réceptionné fin 2023 et est instrumenté par le COSTIC.
Les bâtiments 3, 9 et 11 sont encore en phase de construction et seront achevés entre 2024 et 2025.
Résultats en 2022 pour chaque bâtiment instrumenté et retour d’expérience
Bâtiment 1 (logement social) avec chaudière + solaire thermique
Les premiers bâtiments (1 et 2), livrés en 2016 sont équipés d’une chaudière à gaz à condensation et de panneaux solaires. Les panneaux solaires thermiques sont utilisés pour satisfaire la base des besoins en eau chaude sanitaire de base, tandis que la chaufferie à gaz à condensation prend en charge les besoins de chauffage et le complément en eau chaude sanitaire.
L’objectif visé avec cette combinaison énergétique était d’atteindre un taux de 36 % d’énergies renouvelables et de récupération dans la consommation finale d’énergie pour l’eau chaude sanitaire
Vers la fin de l’année 2019, en raison d’un taux d’occupation insuffisant des logements, les capteurs solaires ont été exposés à des températures élevées, entraînant des dommages importants tels que des capteurs cassés et une dégradation du fluide caloporteur. Les capteurs solaires ont été remplacés durant l’été 2021, et grâce aux interventions de l’entreprise de maintenance, l’installation solaire a pu être ramenée à un état de fonctionnement satisfaisant.
Lors de la phase de conception des installations solaires, il existe un risque de surestimer leur taille, ce qui peut provoquer une surchauffe due à l’incapacité de l’installation à absorber toute l’énergie récupérée par le réseau sanitaire. Bien que ce risque commence à être mieux pris en compte par les bureaux d’études et les entreprises de travaux, un risque persiste si les installations livrées ne fonctionnent pas dans des conditions normales, comme en cas de taux d’occupation insuffisant des logements. Il est donc crucial de planifier la livraison des installations techniques en tenant compte de ces conditions.
En phase d’exploitation, une attention particulière est accordée au traitement du fluide caloporteur, avec des analyses physico-chimiques régulières pour surveiller la qualité du fluide et réagir rapidement en cas de début de changement d’état.
En 2022, un taux de 48 % d’énergies renouvelables et de récupération dans la consommation finale d’énergie pour l’eau chaude sanitaire a été atteint.
Bâtiments 5 et 7 (logement social) avec des pompes à chaleur aérothermiques
Les ensembles de bâtiments 5 et 7, qui ont été livrés respectivement en 2020 et 2021, sont équipés de pompes à chaleur gaz à absorption aérothermiques. Ces pompes à chaleur à absorption utilisent une compression thermochimique à partir d’un brûleur à gaz, contrairement aux pompes à chaleur électriques qui utilisent une compression mécanique.
Le système de pompe à chaleur absorption gaz dessert les usages chauffage et eau chaude pour le bâtiment 5 et ne dessert que les usages chauffage pour le bâtiment 7.
Les deux bâtiments étant soumis aux mêmes problématiques techniques, sont présentés les résultats pour le bâtiment 5.
La conception initiale n’était pas satisfaisante et ne permettait pas aux pompes à chaleur de fonctionner correctement. Des travaux de modification hydrauliques ont donc été entrepris fin 2021. En parallèle, la phase de mise en place de l’instrumentation a été compliquée par l’entreprise de travaux, avec des pertes de matériel, des détériorations et des non-conformités par rapport aux prescriptions.
L’instrumentation est opérationnelle pour le bâtiment 5 depuis août 2022. Cependant, les résultats en termes de fonctionnement ne sont pas encore conformes aux attentes de l’expérimentation.
Confrontées aux mêmes problèmes de régulation que l’installation du bâtiment 8 (voir ci-après), les systèmes du bâtiments 5, livrés plus tardivement, font face à des rendements faibles dans la production de chaleur fournie par les pompes à chaleur (PAC), qui fonctionnent en complément des chaudières à condensation.
Des travaux sont en cours pour optimiser la régulation en cascade des deux installations, dans le but de permettre un fonctionnement en base des pompes à chaleur et ainsi améliorer leur performance.
Actuellement, le taux d’énergies renouvelables pour ces deux bâtiments se situe entre 15 et 20 %.
Bâtiment 8 (logement social) avec des pompes à chaleur géothermiques
Les pompes à chaleur géothermiques du bâtiment 8 jouent un rôle principal dans la production de chaleur pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire des logements. Des chaudières à condensation sont utilisées en complément pour chaque usage.
L’objectif de performance fixé pour ce bâtiment était d’atteindre un taux d’énergies renouvelables et de récupération supérieur à 25 %.
Mise en service fin 2019, les premiers mois de fonctionnement de l’installation ont confronté l’exploitant à des problèmes opérationnels. Ces difficultés étaient liées au schéma hydraulique et à la régulation, qui ont été ajustés en 2021 pour permettre un fonctionnement continu des pompes à chaleur (PAC) avec un soutien des chaudières.
Les pompes à chaleur ont été mises hors service pendant plusieurs semaines, sans que l’exploitant ne détecte leur mise en sécurité, car le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire étaient assurés par les chaudières à condensation.
L’instrumentation a joué un rôle crucial en permettant de repérer ces problèmes grâce à un suivi régulier. À chaque signalement du COSTIC, l’exploitant a pu réactiver les unités de pompes à chaleur. Ainsi, entre juillet 2020 et 2021, le temps de fonctionnement cumulé des PAC s’est élevé à environ 2260 heures. Cette situation s’est améliorée par la suite, avec une moyenne de 4600 heures pour l’indicateur sur la période de 2022, et une performance moyenne des pompes à chaleur d’environ 142 %.
Pour mieux détecter les interruptions de fonctionnement des pompes à chaleur, un système d’alerte a été instauré en octobre 2022, permettant aux équipes de la société Elogie-Siemp, en charge de ce bâtiment, d’être informées en temps réel et de déclencher l’intervention de l’exploitant du chauffage.
En 2022, un taux d’énergies renouvelables et de récupération de 51 % de la consommation finale d’énergie a été atteint.
Conclusions et retour d’expérience global
Tout d’abord, il est essentiel de souligner que la performance des installations est directement en relation avec la qualité du suivi et des échanges entre les différents acteurs (Bureaux d’étude, Maitrise d’ouvrage, Entreprises de travaux, exploitants, …).
Les problèmes survenus dans ce projet ne sont pas spécifiques et se rencontrent fréquemment sur de nombreux chantiers, quel qu’en soit le type et ne proviennent pas de la fiabilité intrinsèque des produits eux-mêmes (installation solaire, pompes à chaleur aérothermiques ou géothermiques).
Une étroite collaboration entre les acteurs tout au long de la chaine de construction est nécessaire afin d’anticiper et d’adresser ces problématiques.
Conception
Lors de la phase de conception, les schémas hydrauliques proposés par les concepteurs des installations se sont avérés soit excessivement complexes, soit non conformes par rapport aux schémas reconnus dans le domaine professionnel.
La filière du solaire thermique est bien consciente de ce problème et a mis en place depuis longtemps une base de schémas reconnus et éprouvés, enrichie par les retours d’expérience. Pour les PAC à absorption, des schémas de principe sont également disponibles sur le site Cegibat .
Au-delà du simple dimensionnement et du calcul réglementaire, les choix de conception doivent être faits en tenant compte des résultats des calculs réglementaires ainsi que des besoins réels du bâtiment et de ses occupants.
Il est important de noter que toutes les technologies performantes ont des modes de fonctionnement spécifiques qui doivent être pris en compte lors de la conception (par exemple pour la PAC absorption, éviter les cycles courts, respect d’un écart de température de 5 à 10K…).
Mise en œuvre, ajustement et mise en service
Les installations livrées jusqu’à présent dans le cadre du projet de la ZAC Paul Bourget ont rencontré plusieurs problèmes :
- Gestion de la cascade entre les chaudières et les PAC.
- Problèmes de fonctionnement des PAC à gaz géothermiques dus à des problèmes d’ajustement de la régulation et de retour des chaudières.
Des problématiques ont également affecté l’installation solaire du bâtiment 1 (dommages aux capteurs solaires, détérioration du fluide caloporteur, encrassement des canalisations).
En vue de garantir les performances d’une installation solaire thermique, au-delà de la gestion du dimensionnement, la réception de l’installation en phase de livraison en relation avec l’occupation des logements est préférable.
Une bonne approche serait de réaliser la réception sur une installation vide avec une mise au point statique, la mise au point dynamique étant effectuée une fois l’installation en service, ou de procéder à la réception telle qu’elle a été faite, puis de vider l’installation par la suite.
Exploitation et maintenance
Pour que l’exploitant puisse correctement gérer une installation thermique, une passation d’informations entre cet acteur et les intervenants impliqués dans les phases initiales de conception et de réalisation est nécessaire (que ce soit le bureau d’études, l’entreprise, un agent de commissionnement ou même les services techniques du maître d’ouvrage). Ceci est d’autant plus crucial lorsque des installations hybrides avec énergies renouvelables présentent des complexités plus importantes.
La transition d’informations d’un acteur à l’autre ainsi que la traçabilité des opérations réalisées ont également été des problèmes rencontrés. Face à ces enjeux de qualité, le commissionnement est devenu incontournable et doit être mis en place dès le début du projet pour accompagner toutes les étapes.
Depuis le début du projet, l’instrumentation a permis de repérer et d’analyser de nombreux points, contribuant ainsi à améliorer les performances des bâtiments livrés. 2 niveaux de mesures doivent être distingués :
- Mesures de la comptabilité énergétique (mesures des énergies consommées et produites par usage, etc.) pour évaluer le bilan énergétique et les performances de l’installation.
- Mesures permettant l’analyse du fonctionnement et le réglage des paramètres (débits, températures) ainsi que la détection d’alarmes. Ces deux niveaux ont été mis en place pour la ZAC Paul Bourget.