Lancée en 2016 par les pouvoirs publics, l’expérimentation « énergie positive et réduction carbone » (E+C-) a pour objectif de tester de nouveaux indicateurs pour évaluer les performances énergétiques et environnementales dans les projets de construction. Elle a ainsi vocation à préparer la réglementation qui, d’ici deux ans, devrait remplacer l’actuelle RT 2012. Avec un changement notable : l’intégration de l’analyse du cycle de vie (ACV) dans les calculs de façon à cadrer non seulement l’efficacité énergétique, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre, de sa construction à sa déconstruction.
C’est pourquoi, en 2017, afin d’accompagner les professionnels et faire « remonter » les éventuelles difficultés (calculs, pertinence des niveaux, etc.), l’Ademe a lancé le programme national Objectif bâtiment énergie-carbone (OBEC). Dans chaque région, ce programme s’appuie sur une équipe projet chargée de passer au crible de la méthodologie E+C- un nombre significatif d’opérations achevées ou en cours. Pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, cette équipe comprenait les bureaux d’études Combo Solutions (Lyon, Rhône), le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) Centre-Est, ainsi que l’agence lyonnaise Tribu en tant que bureau d’études référent. « Ensemble, nous avons mené 20 ACV en phase réception et accompagné 10 opérations en phase conception, indique Karine Lapray, cogérante de Tribu. Au travers de nos missions d’information et de formation sur l’expérimentation E+C-, ce sont pas moins de 150 acteurs régionaux qui ont été sensibilisés à la question du carbone. »
DES ACV DIFFICILES À RÉALISER
« Chaque ACV a nécessité entre dix et quinze jours de travail, ce qui est beaucoup, même en tenant compte du fait que nous ne connaissions pas les projets à l’avance », estime Marine Fouquet, directrice technique de Combo Solutions. Si elle juge la démarche participative du programme « excellente » et la mobilisation des professionnels « satisfaisante », elle insiste sur le caractère chronophage – et donc le coût – des analyses, ainsi que sur les difficultés de collecte des données environnementales.
Dans de nombreux cas, il a été impossible de répertorier tous les matériaux mis en oeuvre. Dans d’autres, les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) n’étaient pas disponibles dans la base nationale Inies. D’où l’utilisation récurrente de modules de données environnementales génériques par défaut (MDEGD). Un pis-aller pénalisant dans le calcul des niveaux de carbone, que l’on a donc tout intérêt à refaire dès lors que les données réelles recherchées deviennent disponibles. « L’enrichissement continu et les mises à jour fréquentes de la base Inies engendrent des fluctuations dans les ACV. C’est la raison pour laquelle il est délicat de comparer les projets entre eux ou d’une version à l’autre tant que cette base n’est pas stabilisée », souligne la directrice technique de Combo Solutions. Les analyses réalisées dans le cadre du programme OBEC Auvergne- Rhône-Alpes sont d’ailleurs systématiquement accompagnées de deux « indices de complétude » mentionnant le pourcentage de FDES manquantes (entre 59 % et 91 % selon l’opération) et la proportion de MDGED dans l’ensemble des données environnementales choisies.
LES RETOURS D’EXPÉRIENCE DU PROGRAMME OBEC EN RÉGION AUVERGNE-RHÔNE ALPES
UNE MAJORITÉ DE PROJETS E3C0
En définitive, les résultats obtenus dans cette région (voir la synthèse ci-contre) se classent majoritairement dans la catégorie E3C0. Sur le plan énergétique, un seul projet (encore au stade des études) accède au niveau E4 : un immeuble de bureaux doté d’une très grande surface de panneaux photovoltaïques et d’une climatisation DRV. Sabrina Talon, chef du groupe Bâtiment & Acoustique au Cerema-Département laboratoire d’Autun (Saône -et-Loire), relève à ce propos que le chauffage au gaz peut prétendre au niveau E3 moyennant des efforts sur l’enveloppe des bâtiments (Bbio) et l’utilisation d’énergie renouvelable (EnR) pour les autres usages de l’énergie.
En ce qui concerne le volet carbone, quatre projets atteignent le niveau C1, parmi lesquels un immeuble de bureaux E3C1 équipé d’une chaudière gaz à condensation. En revanche, aucun ouvrage de l’échantillon ne parvient au niveau C2. « Dans le logement, nous pensions a priori avoir davantage de réalisations classées C1. Cela n’a pas été le cas car la contribution des produits et matériaux de construction dépassait le seuil fi xé pour ce contributeur », commente Marine Fouquet. Sabrina Talon précise que ces résultats, peut-être décevants pour certains acteurs, sont néanmoins riches d’enseignements pour les indicateurs et les seuils à retenir dans la future réglementation. Se pose enfin la question de savoir si l’expérimentation OBEC donne une idée des « recettes » qu’un maître d’oeuvre pourrait appliquer pour optimiser le classement E+C- de son ouvrage. « S’agissant de la partie énergétique, certaines recettes sont connues, en particulier le travail sur l’enveloppe du bâtiment afin de réduire les besoins, et le recours aux EnR, répond la représentante du Cerema. A contrario, cette démarche est plus complexe pour le carbone. Il n’est pas absurde de viser un classement C1 au stade du permis de construire, mais en sachant que cela exigera des efforts, beaucoup de réflexion et un suivi très poussé du projet jusqu’à sa réception. »
LES RETOURS D’EXPÉRIENCE DU PROGRAMME OBEC EN RÉGION AUVERGNE-RHÔNE ALPES
Sabrina Talon
Chef du groupe Bâtiment & Acoustique au Cerema Centre-Est
Karine Lapray
Cogérante de Tribu
Marine Fouquet
Directrice technique de Combo Solutions