Carte d'identité
- Date des travaux :
- 2018
- Localité :
- Lyon (69)
- Superficie :
- 11 000 m2
- Maître d'ouvrage :
- SCI Pole Carré de Soie, regroupant dix sociétés coopératives
- Architecte :
- Thomas Rau (Amsterdam) et Soho Architectures (Lyon)
- Bureau d'études thermiques :
- HQE : I.T.F.
- Consommations observées :
- Moins de 240 MWh/an de consommation électrique
- Solution retenue :
- cogénération gaz, PV
Porté par une vision environnementale et coopérative, le projet Woopa était, à sa genèse en 2007, à la fois ambitieux et avant-gardiste. Il prend place au coeur du Carré de Soie, vaste programme de mutation urbaine de l’agglomération lyonnaise concernant les villes de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Il a été conçu pour être un bâtiment à énergie positive, une vision défendue par les partenaires du projet, tous acteurs de l’économie sociale et solidaire, du maître d’ouvrage (Rhône-Saône Habitat) à la coopérative de fi nances (la Nef), en passant par la conduite du projet (Detim) et les bureaux d’études réunis dans Quadriplus Groupe (Cogeci, Katene, Procobat et Etamine). Dans la vision de ces concepteurs, le bâtiment tertiaire de 11 000 m2 devait également subvenir aux besoins de chauffage des futurs logements de l’îlot, soit une surface totale de 20 000 m2. Pour corser le tout, ils avaient fait le choix d’une production d’énergie entièrement à partir de sources renouvelables, selon un mix énergétique associant photovoltaïque, chaudières à granulés de bois et cogénération à l’huile de colza. Autant dire que des références similaires susceptibles de servir de modèles n’étaient pas légion en France. C’est d’ailleurs à l’étranger que la maîtrise d’ouvrage a puisé son inspiration : « Nous avons retenu le cabinet d’architecture Rau, qui nous paraissait le plus à même de répondre à nos ambitions zéro énergie et zéro carbone, se remémore François Aimon, chargé d’affaires au sein du bureau d’études techniques Katene. C’est par son intermédiaire que nous avions visité un bâtiment du WWF en Hollande, qui utilisait justement une cogénération à l’huile de colza. »
Réduire les consommations et les compenser
« Aucun référentiel n’existait alors. Lors de la programmation, nous étions encore régis par la RT 2005. Nous avons en quelque sorte inventé notre propre définition du Bepos, sur la base du bilan en énergie primaire du futur bâtiment, en fonction de ses consommations et productions prévisionnelles », poursuit Sébastien Randle, chef de projet au sein du cabinet Etamine, assistant à la maîtrise d’ouvrage. Tout l’enjeu consistait à définir les moyens de production à même de compenser les consommations en énergie primaire du bâtiment par une production d’énergie équivalente, produite à partir de ressources renouvelables. Mais dans un premier temps, la tâche de la maîtrise d’oeuvre était de minimiser les besoins énergétiques du bâtiment dont la première pierre fut posée en mai 2010.
Avec une configuration compacte ainsi qu’une structure mixte composée d’une ossature en béton sur laquelle ont été rapportés des murs-rideaux en bois préfabriqués, le travail sur l’enveloppe répond aux normes de la construction basse consommation. Les murs-rideaux en bois embarquent une isolation thermique répartie dans toute leur épaisseur (17 cm côté extérieur, 5 cm côté intérieur). Les menuiseries, toutes en aluminium, disposent de trois couches de verre « respirant » au sud, à l’est et à l’ouest. Les stores déroulants sont logés dans cet espace ventilé, pour être protégés des vents violents (fréquents dans la région). Au nord, les fenêtres sont équipées de triple vitrage.
Photovoltaïque et cogénération à l’huile végétale
Les simulations thermiques dynamiques effectuées par le bureau d’études I.T.F. ont permis d’effectuer un calcul des consommations du futur bâtiment usage par usage. La consommation prévisionnelle globale s’élevait à 99 kWhep/m2.an. C’est sur la base de ces calculs que l’installation photovoltaïque a été dimensionnée. Avec une emprise de 1500 m2 en toiture (70 % de la surface disponible), l’installation PV (228 kWc) doit pourvoir fournir 60 % de la production d’énergie nécessaire pour compenser les consommations en énergie primaire. En plus de la terrasse du Woopa, les toitures de plusieurs bâtiments d’habitation de l’îlot ont été louées. En complément, la cogénération devait produire les 40 % d’énergie supplémentaires pour permettre à l’immeuble d’atteindre le niveau Bepos. Initialement, c’était une unité de cogénération de 30 kW électriques pour 54 kW thermiques utilisant de l’huile végétale qui a été installée en chaufferie. Un pari, de l’aveu même de Sébastien Randle : « À la conception, nous voulions mobiliser le minimum d’énergie fossile. » En complément de la cogénération, qui fonctionnait en base de façon à maximiser la production électrique, la production de chauffage a été complétée par trois chaudières à granulés en cascade de 32 kW chacune. Celles-ci sont alimentées en granulés depuis un silo extérieur de 30 m3. La chaufferie abrite également une chaudière d’appoint gaz à condensation de 600 kW, dimensionnée pour répondre aux pics de consommation du bâtiment Woopa, mais également des logements alimentés par la chaufferie. La courbe de chauffe obéit à une régulation basée sur la température extérieure. La GTB est gérée par des solutions prédictives d’algorithmes IA (Probayes).
Dans le bâtiment, l’émission de chaleur se fait par des dalles actives : le circuit chauffant-rafraîchissant y est noyé à 5 cm de profondeur dans la partie inférieure de la dalle. « Lorsque nous avons fait ce choix, nous avions besoin que la dalle reste dégagée en plancher comme en plafond, afi n qu’elle rayonne sur le maximum de sa surface, indique Sébastien Randle. Ce qui pose notamment la question de la ventilation. C’est là une grosse particularité du projet : nous avons donc également noyé les gaines de ventilation. » L’ensemble des gaines et des planchers ont pu être intégrés dans les dalles actives. Pour garantir le report de charges du bâtiment en l’absence de retombées de poutres, celles-ci ont une épaisseur conséquente : 39 cm ! Dès lors, l’inertie importante des dalles actives implique d’anticiper les besoins : en hiver, les trains de chauffe sont enclenchés en milieu de nuit pour que les locaux soient à bonne température (20,5 °C), dès l’arrivée
En 2019, remplacement par une cogénération gaz
Dans les faits, le bâtiment n’a pas encore réussi à atteindre le niveau Bepos initialement visé. Le rendement optimal n’a pas été obtenu pour l’usage chauffage à cause de la complexité des relances thermiques et de la régulation des trains de chaleur de la dalle active par rapport à l’inertie du bâtiment. La conduite de la cogénération à l’huile végétale s’est également avérée plus retorse que prévu : « Nous avions notamment sous-estimé le temps d’arrêt de la cogénération nécessaire à son entretien, intervenu après 200 heures d’exploitation », reconnaît a posteriori François Aimon. Pour pallier cette insuffisance sans renoncer à l’objectif Bepos, la SCI qui gère le bâtiment a pris une décision radicale : remplacer la cogénération à l’huile végétale par une cogénération au gaz naturel (63 kWTh pour 30 kWe, associée à un ballon de stockage de 1900 l), quand bien même le taux de conversion d’énergie finale en énergie primaire du gaz (1) est un peu moins avantageux que celui de l’huile végétale (0,6). L’ancienne cogénération a ainsi été déposée au printemps dernier. La SCI ne s’est pas contentée de cette substitution d’équipement, puisque son appel d’offres visait également à désigner un nouvel exploitant de la chaufferie.
« Dans le cadre de la nouvelle consultation de 2018, nous avons demandé à ce que l’exploitant soit plus réactif », souligne Sébastien Randle. Après avoir été assistant à la maîtrise d’ouvrage, Etamine*, désormais chargé du suivi énergétique du bâtiment, y veille scrupuleusement. Des réunions sont ainsi organisées tous les trois mois avec la société Essam, nouvel exploitant dans le cadre d’un contrat de cinq ans. « La première étape a consisté à valider la performance des équipements installés, indépendamment les uns des autres, énonce Christian Mortier, président d’Essam. Cela peut paraître évident, mais ne l’est pas tant que cela en réalité. Ensuite, il s’agit d’adapter la production au plus près des besoins, en s’assurant que la cogénération fonctionne en base. Ce qui implique une maintenance irréprochable, avec des équipes opérationnelles capables d’intervenir rapidement. Puis, il faut adapter le reste de la production en fonction des conditions climatiques et des besoins des utilisateurs. Il faut donc être en mesure de suivre les différents compteurs associés à chaque générateur, de façon à adapter les courbes de chauffe en fonction des besoins. »
En plus des générateurs chargés de fournir le chauffage des 11 000 m2 de bureaux et des 94 logements sociaux attenants, la chaufferie de Woopa intègre le circuit secondaire du système solaire thermique dont les panneaux (150 m2 cumulés) sont situés en terrasse des bâtiments d’habitation
Subvenant aux besoins d’ECS des appartements, la chaufferie intègre deux grands réservoirs d’ECS alimentés par deux échangeurs ; l’un en interface avec le circuit primaire du système solaire thermique, l’autre avec la cogénération et les chaudières. Le circuit primaire du système solaire thermique est bypassé lorsque sa température descend sous les 35 °C. Les chaudières à granulés prennent le relais pour produire la totalité de l’ECS. Le stockage au sein des ballons de stockage ECS est à 65 °C
L’Association syndicale libre (ASL), créée pour gérer les parties communes au bâtiment Woopa et aux logements, rémunère l’exploitant de la chaufferie. L’ASL refacture également le chauffage et l’ECS aux habitants.
Nouveaux objectifs de performance
Une tâche plus ardue qu’il n’y paraît, eu égard à la pluralité des moyens de production disponibles. « Faire moduler une chaudière gaz de 5 à 100 % de sa charge est relativement facile, poursuit Christian Mortier. Pour une chaudière à granulés, c’est moins simple, sa modulation sera forcément moins fi ne et demande donc une conduite en conséquence... »
La conduite des installations a été assortie d’objectifs de performance sur sept postes, faisant l’objet d’un intéressement (mais pas de pénalités) pour l’exploitant.
- L’objectif de production électrique de la cogénération est fi xé à 144 MWh/an (cet objectif représente d’ailleurs 50 % de la prime qui pourra être versée à l’exploitant).
- Celui de l’installation PV est quant à lui établi à 213 MWh/an.
- La consommation annuelle de chauffage sur le bâtiment Woopa devra être comprise entre 170 et 180 MWh utiles en fonction des DJU.
- Le rendement global de la chaufferie – soit le rapport énergie produite sur énergie primaire consommée – devra être égal à 1, afi n de bien respecter les cascades entre les différents générateurs.
- La consommation électrique des auxiliaires (pompes de circulation) devra être contenue à 18 MWh/an.
- Celle des moteurs de CTA et des VMC à 23 MWh/an.
- Enfi n, le taux de couverture solaire pour la production d’ECS dans les bâtiments d’habitation attenants au Woopa devra être d’au moins 40 %. Si ces objectifs sont tenus d’ici à octobre 2020, le niveau Bepos pourrait être atteint en 2021.
* Etamine tout comme Katene ont installé leurs locaux au sein du bâtiment Woopa.
Alex Bissai
ingénieur performance énergétique, ESSAM
Sébastien Randle
chef de projet, Etamine