Pour un immeuble donné, certains bureaux d’études thermiques vont dimensionner une chaudière à 100 kW, par exemple, d’autres aboutiront à 480 kW... Les raisons et conséquences de cet écart – principal enseignement d’une récente étude réalisée par Cegibat – ont fait l’objet d’un débat qui s’est tenu le 29 novembre dernier. « Nous avons demandé à 35 bureaux d’études thermiques quelles règles ils appliquaient pour dimensionner les chaufferies collectives dans les bâtiments neufs, expose Romain Ruillard, responsable efficacité énergétique chez GRDF. Résultat : un tiers des BET ne prennent en compte ni la règle des 2/3* ni la surpuissance de relance** mentionnée dans la norme NF EN 12831. » Ces BET opteront également pour une production d’ECS semi-accumulée, de façon à diminuer la puissance ECS, et retiendront la puissance la plus importante des deux modes (chauffage ou eau chaude sanitaire) plutôt que d’en faire la somme. En définitive, entre cette approche « économe et ajustée » et celle des professionnels qui prendront les marges de sécurité et les surpuissances maximales, les puissances peuvent aller de P à 5 P pour un même bâtiment.
Élaboré à partir de 15 500 relevés annuels de compteurs et de 400 suivis instrumentés, avec l’appui du Costic, le guide Ademe de juillet 2016 propose de nouvelles valeurs des besoins ECS en résidentiel. Ces nouveaux besoins prennent notamment en compte l’évolution des habitudes de consommation. Suite à ces travaux, l’Ademe, EDF et GRDF ont donc confié au Costic la mission de réaliser une nouvelle méthode de dimensionnement de l’eau chaude sanitaire. « Nous avons réactualisé et complété des données relativement anciennes pour aboutir à des valeurs des puissances généralement plus faibles qu’avec les méthodes existantes, comme celles des labels Qualitel et Habitat & Environnement, du guide AICVF ou du guide Baeckeroot », indique Marie-Josèphe Lagogué, ingénieur d’étude au Costic. Cette nouvelle méthode permet par ailleurs d’intégrer le réchauffage du bouclage, (alors que ce n’était pas le cas avec les précédents abaques de dimensionnement) ainsi que de nouveaux dispositifs de production comme le stockage primaire ou les pompes à chaleur.
SIMULATIONS DU CETIAT
Cet écart surprenant s’expliquerait par la marge de manoeuvre offerte aux concepteurs, le suivi des textes de référence comme la norme NF EN 12831 n’ayant en effet rien obligatoire. Malgré tout, la question se pose de savoir si certaines méthodes et approches techniques, sont à privilégier. Le Centre technique des industries aérauliques et thermiques (Cetiat) s’est efforcé d’y répondre en réalisant des simulations (lire notre encadré) dont il ressort que ni le confort ni même l’efficacité énergétique ne sont réellement impactés par le surdimensionnement. Au grand étonnement des BET, d’ailleurs. « Une chaudière surdimensionnée présente un seuil minimum de modulation plus important que celui d’une chaudière de puissance plus faible. Elle sera donc moins capable de s’adapter lorsque les puissances demandées seront faibles et devrait logiquement être moins efficace », observe Joséphine Ledoux, directrice associée d’Enera Conseil. Sylvie Moalic, PDG du bureau d’études thermiques Isocrate, met pour sa part en doute cette partie des conclusions du Cetiat : « Il s’agit de simulations éloignées de la réalité des chaufferies, où l’on doit composer avec le réglage imparfait des brûleurs et la dérive des performances, notamment en cas de surdimensionnement. »
Une remarque d’autant plus à propos que ces mêmes travaux du Cetiat mettent aussi en évidence le fait que le surdimensionnement entraîne une augmentation quasi proportionnelle du nombre de cycles marche-arrêt des machines. « À 5 P, l’étude montre qu’on peut atteindre 55 000 cycles sur l’année, au lieu de 10 000 cycles à P », résume Romain Ruillard. L’impact n’est pas neutre : la durée de vie de l’appareil peut être affectée, un surcroît de maintenance est envisageable et les coûts d’exploitation peuvent être augmentés de l’ordre de 50 % pour le surdimensionnement maximal. Pour Joséphine Ledoux, « un équipement optimisé en taille sera non seulement moins coûteux à l’achat et en exploitation, mais aussi plus facile à installer et à entretenir dans les chaufferies modernes, souvent d’une taille réduite ». Reste à se mettre d’accord sur cette notion d’équipement « optimisé » !
QUELLE SURPUISSANCE DANS LES BÂTIMENTS NEUFS ?
Dans les bâtiments neufs soumis à la RT 2012, les choses sont très encadrées réglementairement. « Tous les BET aboutissent à peu près aux mêmes déperditions thermiques », insiste Luc Bourne, directeur de LBI (Luc Bourne Ingénierie). Les professionnels sont en revanche tout à fait libres de leurs choix pour fixer une éventuelle surpuissance de relance. « La norme NF EN 12831 prévoit une majoration assez importante, aussi bien pour les logements que pour les bâtiments tertiaires. Mais compte tenu de la performance actuelle des bâtiments neufs, j’ai tendance à m’en tenir au minimum, c’est-à-dire à 10 % de surpuissance », poursuit- il. Sylvie Moalic partage ce point de vue : « Auparavant, avec des bâtiments moins performants, la relance des installations pouvait nécessiter 15 à 20 % de surpuissance. Désormais, 10 % suffisent pour passer sans inconfort les deux ou trois jours de l’année où il fera vraiment froid. »
Arguant des progrès techniques dont bénéficient les bâtiments neufs mais aussi des apports internes (chaleur émise par les occupants, les équipements, etc.) non comptabilisés dans les calculs, Joséphine Ledoux n’applique quant à elle aucune surpuissance de façon systématique : « Il y a vraiment très peu de risque d’être confronté à un manque de chauffage dans les bâtiments tels qu’ils sont conçus avec la RT 2012, d’autant que les températures extérieures de base*** de la norme NF EN 12831 – que nous respectons bien entendu dans nos calculs – ont été établies il y a de nombreuses années et ne correspondent plus à la réalité. »
Romain Ruillard mentionne un dernier argument qui pourrait aller dans le sens de la non application de la surpuissance de relance, à savoir que le client achète toujours un modèle commercial légèrement plus puissant que la valeur calculée. Dans les faits, selon l’étude de Cegibat, un tiers des 35 BET interrogés appliquent systématiquement la surpuissance de relance quand un autre tiers ne l’appliquent jamais. Pour autant, Luc Bourne estime que les écarts de dimensionnement constatés ne proviennent pas tant du volet chauffage que du volet ECS. « Il y a plusieurs méthodes de dimensionnement et différents types de production – instantané, semi-instantané, semi-accumulé, accumulé – , avec des puissances différentes elles aussi. Personnellement, j’utilise surtout le semi-instantané pour réduire la puissance par rapport à l’instantané pur. », explique le directeur de LBI.
Le surdimensionnement fatigue prématurément les chaudières
Quel est l’impact du surdimensionnement des chaudières (chauffage et ECS) sur la performance énergétique, le nombre de cycles marche/arrêt et le confort des utilisateurs ? Le Centre technique des industries aérauliques et thermiques (Cetiat) a mené l’enquête en prenant l’exemple d’un bâtiment RT 2012 virtuellement situé à Lyon et comportant un bouclage* sur l’ECS. Les résultats montrent que le confort thermique est identique que l’on dimensionne la chaudière à une puissance de P à 2,5 P ou à 5 P. S’agissant de l’efficacité, la valeur optimale est obtenue à 2,5 P mais avec un écart d’à peine 1 % par rapport aux rendements atteints à P ou 5 P. En revanche, l’impact du surdimensionnement s’avère beaucoup plus sensible sur le nombre de mises en route, souligne Pedro Jorquera Ferrat, chargé d’études au Cetiat : « Sur une année, on pourra passer de 10 000 cycles pour une installation dimensionnée à P, à plus de 55 000 cycles pour une installation dimensionnée à 5 P. Avec des conséquences défavorables sur la fatigue du matériel. »
* Grâce à une pompe de circulation en circuit fermé, le bouclage accélère la disponibilité de l’ECS aux points de puisage éloignés de la production ou du stockage et permet ainsi d’économiser l’eau. Il permet également de maintenir une température de 50°C en tout point du réseau ainsi qu’une vitesse d’au moins 0,2 m/s de circulation dans les canalisations de retour de boucle. Un rôle de confort mais aussi un rôle sanitaire.
LA MÉTHODE AICVF 2004, TOUJOURS D’ACTUALITÉ ?
Pour 84 % des BET consultés dans le cadre de cette étude, le dimensionnement des projets respecte la méthode AICVF 2004. C’est le cas de Sylvie Moalic qui regrette néanmoins que cette procédure – établie à une époque où les limiteurs de débit et les systèmes économiseurs en général étaient rares – conduise la plupart du temps à un surdimensionnement des installations. Joséphine Ledoux acquiesce : « Il y a une réelle différence entre les besoins actuels en ECS et ceux d’il y a dix ans. J’utilise néanmoins cette méthode associée aux valeurs des guides Socol quand nous réalisons une installation solaire. Surdimensionner une installation solaire engendre en effet des risques de dysfonctionnement. » Cette surestimation des besoins par la méthode AICVF est confirmée par Romain Ruillard qui s’appuie en l’occurrence sur un guide Ademe sorti en juillet 2016 et sur d’actuels travaux du Comité Scientifique et Technique des Industries Climatiques (Costic), toujours pilotés par l’Ademe, pour définir une nouvelle méthode de dimensionnement de l’eau chaude sanitaire en logement (lire encadré).
Une fois la puissance du chauffage (avec l’éventuelle surpuissance) et la puissance ECS déterminées, quid du dimensionnement global de la chaudière ? « Nous prenons la plus importante de ces deux puissances », répondent Sylvie Moalic et Joséphine Ledoux, à la différence de Luc Bourne qui préfère en général cumuler les kilowatts. Chacune de ces deux approches fédère un quart des BET sondés. « La crainte de ceux qui optent pour autre chose que la plus grande des deux puissances, c’est que la baisse de température dans le bâtiment pendant la recharge du ballon ECS soit une source d’inconfort, précise Romain Ruillard. Cependant, les simulations thermiques dynamiques (STD) prouvent que c’est très rarement le cas puisque l’inertie des bâtiments fait que ce moment ne survient qu’après sept ou huit heures, Ainsi, choisir un temps de réchauffage du ballon inférieur à deux heures ne génèrera pas d’inconfort. » Des propos que Joséphine Ledoux corrobore : « Je n’ai aucun scrupule à couper le chauffage pendant deux heures car cela n’a pas d’impact, même à l’intérieur de bâtiments relativement mal isolés. En revanche, je surdimensionne les émetteurs de façon à fonctionner au régime de chauffage le plus bas possible et à augmenter l’inertie du bâtiment via des émetteurs plus conséquents. »
* Dans le cas des chaufferies équipées de deux chaudières, la règle facultative dite « des 2/3 » consiste à dimensionner chaque chaudière de façon à ce qu’en cas de panne de l’une des deux, l’autre soit capable de fournir les 2/3 de la puissance réclamée par l’installation. Pour éviter le surdimensionnement de 33 % qui en résulte, il peut être intéressant d’appliquer cette règle en installant non pas deux mais trois chaudières dimensionnées chacune à P/3. Cette dernière méthode présente l’avantage supplémentaire d’augmenter la plage de modulation globale de la chaufferie.
** La surpuissance de relance est un coefficient en W/m² de la surface du bâtiment qui permet de relancer la température de 2, 3 ou 4 °C en 1, 2 ou 3 heures. Ce coefficient est aussi une fonction de l’inertie (faible, moyenne ou lourde) du bâtiment.
*** Les températures extérieures de base définies dans la norme NF EN 12831 correspondent aux températures les plus basses relevées dans une région et à une altitude données pendant au moins cinq jours de l’année.