La « chaudière numérique » ou quand le gaz et la puissance de calcul informatique s’allient pour produire une ECS bas carbone

Dossier technique

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La chaudière numérique est un module informatique optimisé pour le calcul intensif et la performance énergétique. Dans le cadre d’un partenariat avec Qarnot Computing et Aiguillon Construction, GRDF expérimente une solution collective de production d’ECS couplant trois chaudières QB Series et deux chaudières gaz condensation. À la clé, une diminution des charges pour les habitants de cette résidence en logement social et une importante réduction du poids carbone de l’ECS ainsi produite.

Implantation des chaudières numériques en chaufferie
Implantation des chaudières numériques en chaufferie

Elle a beau être qualifiée de « fatale », la chaleur d’origine électrique générée au sein des calculateurs et autres serveurs informatiques n’est pas forcément vouée à l’inutilité. À travers la marque Qalway, la société française Qarnot Computing (1), opérateur de calculs intensifs pour le compte de clients du secteur bancaire, du cinéma d’animation 3D ou encore de la recherche médicale et scientifique, s’est fait une spécialité de recycler (2) ce « sous-produit » informatique dans les bâtiments. « Plutôt que de concentrer nos serveurs dans un datacenter, nous les installons dans des bâtiments où la chaleur qu’ils dégagent permet de satisfaire une partie de leurs besoins thermiques », expose Quentin Laurens, directeur des relations extérieures de l’entreprise. Les bailleurs sociaux sont les principaux maîtres d’ouvrage intéressés, avec 44 % des opérations réalisées par Qarnot, suivies par les collectivités et les promoteurs.

Après le déploiement dès 2013 d’une première génération de radiateurs-ordinateurs (Q.rad, aujourd’hui QH Series) dédiés au chauffage sur le vecteur air, l’entreprise a récemment ajouté à son offre ce qu’elle appelle des « chaudières numériques » modulaires (QB Series), lesquelles exploitent cette fois le vecteur eau (Avis Technique CSTB n° 14.4/20-2249_V1). « Il s’agit d’unités de calcul équipées de 12 à 24 processeurs, selon la puissance désirée, et d’un système de refroidissement par circulation d’eau qui, d’une part, optimise le fonctionnement des puces électroniques en maintenant leur température à un niveau raisonnable et, d’autre part, transfère la chaleur ainsi extraite à un dispositif de préchauffage d’ECS », poursuit Quentin Laurens.

Énergies journalières fournies au ballon ECS par les chaudières gaz et chaudières Qarnot
Énergies journalières fournies au ballon ECS par les chaudières gaz et chaudières Qarnot

ÉNERGIE « GRATUITE »

Déjà produite, cette chaleur n’émet donc aucune émission de carbone supplémentaire. La « gratuité » d’usage a fini de convaincre le bailleur social Aiguillon Construction, maître d’ouvrage de Botanica, un programme de 56 logements (sur trois bâtiments) livrés en 2020 à la Chapelle-sur-Erdre (Loire-Atlantique). La solution Qarnot n’était pas la seule capable de répondre aux objectifs de ce programme qui prévoyait, entre autres, l’obtention du label Effinergie + et la couverture d’au moins 40 % des besoins énergétiques avec des énergies renouvelables ou de récupération. Mais, couplée à deux chaudières collectives gaz à condensation (85 kW au total) pour l’appoint ECS et le chauffage, ainsi qu’à une production photovoltaïque assurée par 60 m² de panneaux solaires, cette solution était la plus séduisante du point de vue économique.

« La combinaison retenue présente l’avantage de réduire les charges des occupants grâce à l’autoconsommation de l’électricité solaire dans les parties communes et à la diminution de consommation de gaz dans la chaufferie ; elle se caractérise, en outre, par des coûts de maintenance et d’entretien réduits », argumente Damien Carpentier, responsable de programme territorial chez Aiguillon Construction. En effet, si l’acquisition des chaudières est payante, Qarnot Computing prend en charge la facture d’électricité de ses chaudières ainsi que le remplacement de ses cartes processeurs lorsque cela s’avère nécessaire, au bout de six ou sept ans en moyenne.

CONTRAT LONGUE DURÉE

En plus de deux chaudières gaz Atlantic Guillot Condensinox, le choix a été fait d’installer dans la chaufferie de Botanica trois chaudières numériques Qarnot QB-1 d’une puissance unitaire de 2 kW (6 kW au total). D’un montant de 45 000 euros(3), l’investissement réalisé auprès de Qarnot Computing est assorti d’un contrat de fourniture de 15 ans, reconductible tacitement deux fois par tranches de cinq ans. D’après la modélisation RT 2012 et les calculs réalisés par le bureau d'études Pouget Consultants, le recours aux chaudières QB-1 devrait faire passer la consommation d’énergie primaire de l’ouvrage de 20,8 kWhep/m²Srt.an, pour le poste ECS, à seulement 10,9 kWhep/m²Srt.an, soit presque une division par deux !

Si l’on ajoute à ce gain les 8,2 kWhep/m²Srt.an escomptés pour la production photovoltaïque, la part totale des énergies renouvelables et de récupération devrait représenter 40,1 % de la consommation d’énergie primaire (hors EnR) pour deux des trois bâtiments, et 38,5 % pour le troisième.

 

Schéma de principe de l’installation Botanica
Schéma de principe de l’installation Botanica

RÉSULTATS CONFORMES AUX ATTENTES

« À mi-parcours, les résultats provisoires s’avèrent en ligne avec les objectifs », souligne Régis-Emmanuel Ganet, chef de produit chez GRDF : « Durant cette première année de fonctionnement, nous avons constaté que les chaudières QB-1 offraient un taux de couverture des besoins en ECS compris entre 32 % au coeur de l’hiver et 49 % en été lorsque la consommation est minimale, avec une moyenne annuelle d’un peu plus de 40 %. » (voir graphique) En moyenne toujours, les mesures relevées par ENGIE Lab CRIGEN font par ailleurs état d’une température d’eau de 52 °C en sortie de chaudière pour la période janvier-juillet et de 61 °C entre les mois de juillet et septembre.

« Ces chiffres démontrent l’excellent rendement thermique du dispositif : 88 % mesurés pour les chaudières numériques seules et 77 % pour le système complet : chaudières + échangeur tubulaire/ballon tampon (2 000 litres) », indique Régis-Emmanuel Ganet. Et d’expliquer cet écart, notamment par le déphasage inévitable entre les puisages ECS, variables dans le temps, et la production de chaleur, à peu près constante à chaque instant de l’année. En l’absence de puisage, un système de protection (activé dans des cas exceptionnels) veille d’ailleurs à ce que la température de l’eau stockée ne dépasse pas une certaine limite. Par exemple, en diminuant la fréquence d’horloge des calculateurs, ce qui réduit automatiquement leur dissipation, ou bien en arrêtant un ou plusieurs modules. Dans certains cas, une modulation de puissance est également possible grâce à l’action de la plateforme logicielle Q.Ware, chargée de répartir, de manière dynamique, la quantité de données à traiter par chaque serveur en fonction du besoin local de chaleur.

Le fonctionnement « interne » des chaudières Qarnot

D’une façon générale, selon la typologie des circuits hydrauliques et l’organisation des chaudières numériques (montées en parallèle ou en série), l’eau « froide » pénètre dans les différents modules à une température comprise entre 10 °C et 50 °C.

Cette eau serpente ensuite dans des tuyaux de cuivre en contact thermique avec des plaques métalliques faisant office de dissipateurs pour les composants électroniques embarqués sur les cartes. Le rendement de cette extraction de chaleur avoisine 90 %.

En sortie, la température de l’eau peut monter à 60 °C, le différentiel de température entrée/sortie étant fonction de la puissance récupérée et du débit hydraulique.

COMPLÉMENTARITÉ AVEC LE GAZ

À l’inverse, lors des pointes de consommation d’ECS ou lorsque l’eau arrive dans la chaufferie à basse température, les chaudières gaz – associées à un ballon d’appoint de 1 000 litres situé en tête de la boucle d’eau chaude –- se déclenchent afin de maintenir l'ECS à la température de consigne (environ 60 °C).

« Le système est dimensionné pour que le talon des besoins ECS soit assuré par les chaudières numériques et le reste par le gaz », résume le chef de produit, qui juge cette complémentarité technique – puissance et instantanéité pour le gaz, régularité de la production pour la chaleur informatique – tout à fait pertinente. En particulier pour les projets de rénovation qui impliquent des maîtres d’ouvrage fidèles au gaz mais soucieux de leur empreinte environnementale et de la maîtrise des charges. « Parmi les atouts de la chaudière numérique dans l’ancien, il y a aussi son adaptabilité hydraulique, puisqu’elle peut se positionner aussi bien en amont du système d’ECS (en préchauffage) que sur le retour de la boucle sanitaire, ainsi que sa modularité, sa compacité et sa facilité d’installation dans les chaufferies existantes », insiste-t-il.

À ce propos, le directeur des relations extérieures de Qarnot Computing précise que quatre branchements suffisent à la QB-1 : l’arrivée et la sortie d’eau, le raccordement électrique et la fibre optique pour la transmission aller/retour des données de calcul. En outre, l’emprise au sol d’un module de chaudière numérique se limite à 0,22 m2, permettant une installation aisée dans les chaufferies existantes.

QUELLES PERSPECTIVES DANS LE NEUF ?

S’agissant des perspectives de marché, Quentin Laurens confirme le potentiel des opérations de rénovation mais ne cache pas les ambitions de son entreprise dans le neuf : « Nous avons demandé – et obtenu – la transposition dans la RE 2020 du titre V déjà détenu par Qarnot pour ses chaudières dans le cadre de la RT 2012. Cela procure un abattement de 100 % sur l’énergie primaire (électricité alimentant les serveurs) : la chaleur ainsi produite est donc considérée comme entièrement renouvelable. Cette transposition permet aux bureaux d’études de bien prendre en compte les gains énergétiques de notre système dans leurs calculs. » Reste à vérifier que les ouvrages concernés pourront respecter les seuils carbone de la réglementation dans l’hypothèse d’une association des chaudières QB avec des chaudières à gaz. « Le gain potentiel au niveau de l’ECS autorisera certainement des réalisations gaz + QB-1 en logement collectif RE 2020, du moins avant l’application du seuil carbone 2025, estime Régis-Emmanuel Ganet. Pour la suite, il faudra effectuer d’autres simulations dans le moteur de calcul de la RE 2020, afin de se positionner. »

DEUX MARQUES POUR DEUX MARCHÉS DISTINCTS

Quoi qu’il en soit, Qarnot Computing a décidé d’accélérer le développement de ses chaudières QB, plus adaptées à son activité informatique que les radiateurs de chauffage QH dont la sollicitation est par nature très variable en fonction de la saison, contrairement aux besoins de calculs. « Nous allons sortir un nouveau modèle de chaudière, encore plus efficace et plus puissant. L’Avis Technique correspondant est en cours », confie Quentin Laurens. Des chaudières plus puissantes répondant à la demande croissante de calculs. Pour clarifier son offre, l’entreprise a créé deux marques distinctes : Qalway s’adresse aux thermiciens et Qarnot se consacre au traitement des données. L’entreprise ne manque d’ailleurs pas d’arguments pour séduire les consommateurs de data. Financiers d’abord, dans la mesure où Qarnot n’a pas besoin de répercuter dans ses tarifs le moindre coût de structure ou de climatisation. Environnementaux ensuite, puisque la valorisation de la chaleur fatale informatique permet à ces clients de réduire de plus de 80 % l'empreinte carbone de leurs calculs. Un point non négligeable dans le cadre d’une démarche RSE bien orchestrée.

 

(1) Qarnot Computing : nom choisi en référence à Nicolas Léonard Sadi Carnot, l’un des pères de la thermodynamique, avec une lettre Q qui rappelle le symbole conventionnel de la quantité de chaleur. Basée à Montrouge (Hauts-de-Seine) et à Nantes (Loire-Atlantique), l’entreprise emploie actuellement 70 personnes.
(2) D’autres sociétés exercent cette activité en France, notamment Tresorio et Neutral-IT (chaudières Stimergy).
(3) Le tarif actuel des QB-1 est en cours d’évolution.
(4) Qalway : là encore, un clin d’oeil avec le symbole Q, puisque le cours d’eau canadien Calway, avec un C, est un affluent de la rivière Chaudière, au Québec.

A RETENIR

- Les chaudières numériques de Qarnot Computing se caractérisent par une production de chaleur limitée (2,2 à 4 kW par module) mais en principe constante toute l’année.
- Cette régularité de la production convient particulièrement bien au préchauffage de l’ECS dans le résidentiel collectif, l’appoint pouvant être assuré par une chaudière gaz lors des pics de consommation.
- Dans le cas du programme de logements Botanica, la valorisation de la chaleur fatale informatique ainsi réalisée aboutit à une réduction de 40 % de l’empreinte carbone de l’ECS par rapport à l’utilisation d’une solution gaz à condensation seule.

Ma note :