Où en est-on du développement des gaz verts en 2024?
— Sabrina Dupuis : Les gaz verts connaissent un fort développement et environ 3% du gaz consommé en France est aujourd’hui du biométhane. Fin 2023, cela représentait une capacité de production de plus de 12 TWh, soit l’équivalent de 2 réacteurs nucléaires, contre 0,4 TWh en 2017. Les gaz verts sont la seule filière renouvelable à avoir dépassé, courant 2022, les objectifs de la PPE qui étaient fixés pour 2023. La méthanisation constitue la filière la plus mature. À fin juin 2024, 687 sites injectaient dans le réseau gazier. D’autres procédés émergent. Nous avons identifié une cinquantaine de projets de pyrogazéification prêts à démarrer. L’un des atouts de cette technologie est d’être facilement duplicable et de proposer une voie de valorisation sans rejet de polluants atmosphériques. Il faut désormais aider la filière à se lancer, notamment en trouvant des financements. Autre procédé d’avenir, le power-to-gas (ou power-to-methane). Deux à trois projets devraient voir le jour d’ici à la fin de l’année. La gazéification hydrothermale est encore émergente, mais avec une forte dynamique d’acteurs intéressés. Un appel à manifestation d’intérêt, piloté par GRTgaz et auquel GRDF contribue, est prévu cette année, avec l’espoir que les premiers projets soient lancés en 2025.
Quels sont aujourd’hui les objectifs fixés pour le développement du biométhane ?
— S.D. : La Stratégie française énergie climat (SFEC) est la feuille de route pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. La PPE est le volet énergétique de la SFEC; sa révision est attendue pour la fin de l’année. Le projet de PPE prévoit 50 TWh de biogaz, dont 44TWh de biométhane injecté en 2030. Cette cible est en deçà de l’objectif que s’est fixé la filière gaz, et qui s’élève à 60 TWh : 50 TWh pour la méthanisation et 10TWh pour les nouveaux procédés. Nous estimons ainsi être en capacité d’atteindre une part de 20% de gaz vert dans notre consommation de gaz en 2030. Plusieurs études montrent que nous sommes en mesure d’adresser différents intrants pour répondre à cet objectif, certes ambitieux mais nécessaire pour tenir notre trajectoire de décarbonation. Pour cela, la filière accompagne les porteurs de projets et partage les bonnes pratiques. C’est l’avenir de la filière gaz qui se joue là. La valorisation des déchets pour décarboner les usages crée une économie circulaire et vertueuse, favorisant les emplois locaux et contribuant à la souveraineté énergétique de la France.
Pour autant, le biométhane peine à se faire une place sur le plan réglementaire. Il n’est, pour l’instant, valorisé ni dans le DPE ni dans la RE2020. Quels changements attendre ?
— S.D. : Le contenu carbone du biométhane a été identifié et inscrit dans la base de données de l’Ademe. Il s’élève à 44,5 gCO2e/kWh PCI, contre 239 gCO2e/kWh de pouvoir calorique inférieur (PCI) pour le gaz naturel (1). Le biométhane peut aussi être valorisé dans le mécanisme européen de plafonnement et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre (ETS). Enfin, la nouvelle directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) adoptée en décembre 2023 vise la neutralité carbone pour le parc immobilier en 2050(2). Le biométhane figure parmi les énergies qui contribuent à la trajectoire de décarbonation du bâtiment. Les équipements gaz performants, comme la chaudière très haute performance énergétique ou la pompe à chaleur hybride, lorsqu’ils sont alimentés par du gaz vert (bas carbone), constituent une opportunité pour accélérer la décarbonation du parc. La réglementation évolue très vite et nous restons à l’écoute de tous les changements.
À quoi ressemblera le mix énergétique gazier en 2050?
— S.D. : De nombreux scénarios, parmi lesquels ceux de l’Ademe et de la CRE, montrent quel pourrait être ce mix en 2050. Tous mettent en évidence que la totalité de la consommation de gaz française pourra être couverte par les gaz verts, produits par les différentes technologies que nous avons citées précédemment. Les projections évaluent cette consommation entre 200 TWh et 334 TWh selon les scénarios, avec entre 100 TWh et 160 TWh d’hydrogène renouvelable ou bas carbone. Ce mix gazier sera complémentaire au mix électrique. 2050 paraît loin mais c’est aujourd’hui que tout se construit.
(1) Base Empreinte® Ademe. Pour mémoire, la valeur conventionnelle du gaz naturel dans la réglementation est de 227 gCO2e/kWh PCI.
(2) En attente de transcription dans le droit national.
- La gazéification hydrothermale : procédé thermochimique à haute pression et haute température qui permet la production de gaz à partir de déchets ou de mélange de déchets dont le taux d’humidité est entre 50% et 80% et qui n’ont à ce jour aucune autre voie de valorisation.
- Le power-to-gas, également appelé « méthanation », permet de combiner le CO2 avec de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone obtenu par électrolyse de l’eau (réalisée en utilisant des excédents d’électricité renouvelable) pour obtenir du méthane.
FOCUS SUR LE POWER-TO-METHANE
Qu’est-ce que le power-to-methane, et quels intrants sont valorisables?
M.M.-B. : Il s’agit de la production de méthane à partir d’une part d’électricité verte, renouvelable ou bas carbone, et de CO2 biogénique (issu, par exemple, de la méthanisation) ou industriel. L’un des intérêts est de valoriser du CO2 qui ne l’est pas aujourd’hui. Notamment, le biogaz issu de la méthanisation comporte 60% de CO2, qui est aujourd’hui perdu. L’idée est d’utiliser ce CO2 pour produire davantage de méthane avec la même quantité de biomasse. Un autre intérêt est d’offrir de la flexibilité au réseau électrique. En transformant l’électricité renouvelable excédentaire en méthane, on évite l’écrêtement et on favorise l’implantation d’installations éoliennes ou solaires. On est vraiment à la croisée entre système électrique et gazier.
Où en est-on du développement de cette technologie? Avec quelles perspectives?
M.M.-B. : Une dizaine de projets ont été identifiés dans le cadre du mécanisme dérogatoire de la CRE. Un démonstrateur (Jupiter 1000) est en exploitation à Fos sur-Mer avec du CO2 industriel. Un autre (MéthyCentre) est en cours de construction près de Tours. Un projet, alliant méthanisation et méthanation sur une station d’épuration est aussi en voie de finalisation à Pau. D’autres projets sont également assez avancés, tels que DENOBIO dans les Hauts-de-France. Le marché est en train de se constituer. Mais la filière fait encore face à certaines difficultés technico-économiques, notamment en raison du prix élevé de l’électricité. Les perspectives sont malgré tout intéressantes et, en 2050, le power-to-methane devrait contribuer à hauteur de 40 TWh à 50 TWh de la consommation de gaz vert.
Le projet de PPE fixe un objectif de production de biogaz de 50 TWh en 2030 dont 44 TWh de biométhane injectés. La filière gaz estime réaliste l’objectif de 60 TWh de biométhane injecté (dont 50 TWh par méthanisation et 10 TWh par les autres procédés).
Les différentes études montrent que la totalité de la consommation de gaz française (estimée entre 300 TWh et 420 TWh) pourra être couverte en 2050 par les gaz verts, dont l’hydrogène.